Rappeur, activiste, Keyti est un artiste qui a su marquer sa génération. De Rap’adio en passant par le Dakar All Stars, l’artiste a toujours su montrer à travers sa musique les reflets de notre société. Aujourd’hui, le Journal Rappé représente un nouveau tournant dans sa carrière. On est donc naturellement parti à sa rencontre pour discuter de son actualité musicale et de ses projets futurs. Entretien !
Keyti, vous êtes un pionner du Hip Hop Sénégalais. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur son état ?
Un bilan plutôt mitigé : Comme un peu partout dans le monde, il y a des choses qui sont satisfaisantes, d’autres qui le sont moins. Au niveau artistique il y a des nouvelles choses qui sont en train de se passer, avec une nouvelle génération qui en veut de plus en plus. Artistiquement, ils proposent de nouvelles choses. Ils ont la chance de bénéficier d’avancées technologiques. Mais l’impact que notre génération avons eue avec Daara J, PBS, Rap’adio… Aujourd’hui les jeunes artistes n’arrivent plus à avoir ce même impact avec plus de moyens et une plus grande rigueur dans le travail. Le problème est peut être lié à autre chose, au marketing, au management… Au niveau artistique il y a beaucoup de satisfaction mais au niveau de l’organisation, ça pèche beaucoup car il y a de moins en moins de personnes intéressées par le développement d’artistes. Donc les artistes font tout eux même et jouent à la fois au producteur, au promoteur… ça le fait pas trop !
Pouvez-vous nous raconter comment vous avez décidé de faire du Rap ?
Décidé… Non il n’y a pas eu de décision à prendre. Je crois que j’ai été pris dans le flow de ce qui se passait à l’époque. Tout un pays s’ouvrait à une nouvelle musique, la FM venait de s’installer au Sénégal. Techno, House, Rap, Ragga Muffin : Il y avait beaucoup de musiques différentes à la télé, à la radio, c’était assez impressionnant. Je crois que j’ai été pris dans ça. J’ai toujours adoré la musique, j’ai vécu dans cet univers avec des frères musiciens, des sœurs qui écoutent beaucoup de musique. Et à côté de ça il y avait aussi la passion pour l’écriture qui à la base n’avait pas de lien avec la musique. Je lisais beaucoup, j’écrivais beaucoup. J’ai grandi dans une famille d’instituteurs donc très tôt on m’a mis un livre entre les mains et j’ai développé une sorte de passion pour les mots. Donc forcément quand le rap arrive et qu’il faut se poser pour écrire ses textes, exprimer ce qu’on ressent, j’étais dans mon univers. Faire du rap, ce n’était pas une décision à prendre, c’est plutôt une continuité.
En quelle année vous avez fait votre première chanson ?
Je ne sais même plus… Je pense que l’année où j’ai vraiment commencé à écrire, où j’ai commencé à me prendre au sérieux par rapport à ce que j’écrivais, je crois que c’est 1989 ou 1990. Avant j’écrivais pour moi, je cachais mes textes, je ne les montrais à personne et la première fois où quelqu’un a vu un de mes textes il a dit « Non, tu n’as pas écrit ça », et ça, ça m’a mis en confiance. Je me suis dit, si les gens pensent que c’est tellement bien écrit que ça ne peut pas être moi… peut être que c’est du sérieux !
Tout le monde connait le phénomène Rap’adio, êtes-vous toujours en contact avec les membres du groupe ?
Absolument pas. Bibson de temps à autres, on se rencontre, on rigole un peu et puis voilà mais sinon il n’y a plus de rapport personnel ou professionnel.
Il n’y a donc aucune chance de revoir le groupe Rap’adio à nouveau réunis sur scène ?
A mon niveau oui.
Les gens attendent toujours votre deuxième album, que pouvez-vous nous dire aujourd’hui ?
C’est de la musique, c’est une question de feeling. Il s’agit pas de le sortir parce que les gens attendent, de toute façon ils ne se nourrissent pas de ça. Heureusement ils peuvent vivre sans. Je préfère travailler et être confortable avec ce que je partage. Quand on va en studio pour enregistrer un album par ce qu’il y a de la pression ce n’est plus du partage. J’ai toujours fait les choses en prenant mon temps. Il y a de la paresse aussi. Il faut beaucoup de courage, parfois je l’ai, je vais pendant un mois au studio puis je décroche.
Est-ce que cet album va ressembler au premier ?
Il y aura un peu de moi, c’est certain. Mais depuis la sortie de mon premier album j’ai beaucoup changé, c’est dans la nature de l’homme, mais le fond restera du Keyti. Je crois que ce qui rendra cet album intéressant c’est toutes ces expériences que j’ai vécu entre temps que je vais essayer de faire ressortir sur cet album. Montrer aux gens et à moi-même que j’ai grandi, que j’ai rencontré des gens…
Quand va-t-il sortir ?
Je travaille sans pression… Mais le producteur a sa dead-line aussi… On est dans un milieu où il faut respecter un minimum de règles mais jusqu’ici j’ai été très libre dans mes choix. Pour dire la vérité je ne me considère même pas comme artiste ! Je veux dire, comment certains se prennent au sérieux « Ouais je suis artiste, je suis rappeur ». Moi je fais des tas de trucs, j’écris, je fais des documentaires, je travaille sur d’autres choses donc je n’ai pas cette pression de l’argent. J’ai toujours la passion du rap, j’écris, je vais en studio, mais à mon rythme. Je fais les choses comme je le sens.
Redécouvrez le clip « Nguir Gune Doon Gune » de Keyti
On voit beaucoup de rappeurs s’impliquer dans la vie politique du Sénégal, qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne chose parce qu’à un moment aussi on en a marre de s’arrêter juste aux paroles. Il faut passer à l’action et c’est bien que les rappeurs passent à l’action. Autant dans la parole que dans l’action. Le plus important est de garder ses principes. Ça ne sert à rien de vouloir passer à l’action et de faire les choses de façon très gauche et très hypocrite, ou de mal les faire. Ça ne sert à rien non plus de rester à parler et de raconter finalement que des conneries. Je pense que tout le monde peut le comprendre. Le discours équivaut à l’action. Parler c’est prendre position. C’est une bonne chose que les artistes prennent condition. Qu’ils soient pour tel ou tel candidat, ce n’est pas un problème. Le plus important c’est de ne pas faire les choses parce qu’il y a de l’argent derrière, par ce qu’on s’attend à ce qu’il y ai des retombés sur sa musique, par ce qu’on veut se faire voir comme un artiste engagé. Moi quand il y a ces intentions derrière, ça me pose problème. Mais après si c’est spontané, si on le fait par conviction, qu’on soit d’un côté ou de l’autre, que ça recoupe avec mes convictions ou non, l’important c’est de le faire avec le cœur.
L’affaire Metzo Diatta à défrayé la chronique pendant plusieurs jours. Quel est votre avis cette affaire ?
Je trouve que c’est regrettable. Regrettable qu’on soit dans un pays ou on arrive à se dire : « tout le monde le fait donc je vais le faire. » Metzo et le policier sont tous les deux victimes du système. C’est un policier qui n’est pas verreu mais puisque tout le monde pense que les policiers sont verreux lui aussi est mis dans le lot. Regrettable pour Metzo aussi parce que c’est un artiste d’abord. C’est une personne publique… Il est producteur d’une émission qui a essayé de dénoncer ces pratiques là et lui-même a essayé de corrompre un policier. Je pense qu’aujourd’hui, le plus important c’est que tout est bien qui finit bien. Il y a eu des épisodes regrettables, un petite condamnation mais c’est du passé et aujourd’hui le plus important c’est que chacun va faire attention, va faire beaucoup plus attention. Bien sûr ça ne va pas arrêter la corruption. Je pense que c’est la leçon à en tirer : C’est tombé sur Metzo mais ça aura servi a en éduquer d’autres.
Aujourd’hui, si Keyti avait une baguette magique, qu’est-ce qu’il allait changer au Sénégal ?
(Pensif…) Quelque chose d’urgent à changer ?… Pour moi c’est l’hygiène. Pour moi, tout part de ça. Tu apprends à un enfant à respecter son environnement. D’abord sa chambre, sa maison, son quartier, sa ville, son pays. C’est le plus grand service qu’on peut rendre à un enfant. Il y a beaucoup de discipline là-dedans qui peut être appliqué ensuite dans le travail, dans la relation avec les gens… je pense qu’il y a un vrai problème d’hygiène au Sénégal. Un énorme problème d’hygiène mais on est tellement enfermé dans notre bulle qu’on s’en rend plus compte. Un pays comme le Burkina est beaucoup plus propre. J’ai eu la chance de voyager, tu vois Kampala, tu prends une claque, tu vas a Addis Abeba, tu prends une claque. Mais nous, dans notre petite bulle sénégalaise on est tout fier de se dire « on est meilleur que les autres », alors qu’à deux pas de chez nous les gens jettent tout et n’importe quoi dans la rue, les gens pissent un peu partout. Il y a un vrai problème, un énorme problème. Je suis convaincu que si on veut commencer à travailler, remettre de l’ordre à ce niveau-là doit être le point de départ.
Parlons à présent du JTR. Comment est né le Journal Télévisé Rappé ?
C’est une idée de Xuman. Il m’en a parlé, l’idée m’a plu et puis on en a discuté. Aujourd’hui ce que les gens ont vu sur internet et à la TV, ce sont nos idées à nous deux. Mais l’idée de base revient à Xuman.
Comment se passe la conception du JTR ?
Vendredi sort le numéro de la semaine. Dès vendredi soir, samedi, on discute des thèmes de la prochaine édition, par mails, dimanche on enregistre, lundi on filme. Tout est concentré.
Vous avez démarré la saison 2, quelles seront les surprises de cette nouvelle saison ?
Nous même on n’sait pas. Aujourd’hui notre seule motivation est d’apporter de nouvelles choses à ce journal car on sait que très vite les gens pourraient se lasser. Pour maintenir ce public là il faut amener des trucs nouveaux qui vont relancer l’intérêt que les gens ont pour ce journal. Ce dont on est sûr c’est qu’il y aura au moins deux nouvelles rubriques qui seront ajoutées au journal et qui apparaîtront de temps à autre : c’est la rubrique météo et une rubrique horoscope. Mais toujours dans l esprit du journal rappé, très satirique. Quand on va parler de météo, ça ne sera pas vraiment de la météo, même chose pour l’horoscope. Les pilotes ont été tournés, on est en train de les corriger. Il faut qu’on trouve la bonne formule avant de l’intégrer au journal.
Un conseil pour la jeunesse sénégalaise ?
D’habitude je donne peu de conseils… Deux choses. L’une est relative à la compétitivité. Aujourd’hui on est dans un monde avec pleins de gens avec plein de talents. Finalement, si on veut se faire remarquer par rapport à son domaine, il faut mettre beaucoup de qualité dans le travail. J’pense que ces 20 dernières années, le Sénégal et les sénégalais ont beaucoup changés. On a grandi dans une certaine idée de laxisme, de « grawoul », de tricherie. Et aujourd’hui on est tous pris dans ça. Au final si on veut être compétitif, si on veut que les produits de ce pays se vendent bien, et quand je dis produit c’est global, que ce soit des produits de l’école sénégalaise, de l’industrie ou de la culture… Si on veut que ces produits-là se vendent bien, il faut qu’ils soient de qualité. Malheureusement on triche trop et aujourd’hui il y a plus assez de qualité. Il n’y a qu’à regarder la télé. Au journal, même le président de la république s’en fout ! Et je pense qu’il y a un retour à faire vers certaines valeurs de travail, de sévérité dans le travail. Aujourd’hui c’est vraiment : Soyons compétitifs. Si on voit que la musique Nigériane par exemple est en train de prendre le dessus c’est qu’ils sont beaucoup plus sérieux dans le travail.
L’autre point est plus lié à la société sénégalaise, à la façon dont les enfants sont éduqués. J’ai le sentiment qu’on n’aide pas les gens à se réaliser dans ce pays, à être eux même. Bien au contraire on grandit avec l’idée que c’est comme ça qu’il faut être, c’est ça qui est bien, c’est ça être sénégalais, c’est ça être un bon musulman, et au final je pense qu’il y a peu de gens qui sont ce qu’ils veulent être dans ce pays, ou qui deviendront ce qu’ils ont envie d’être parce qu’on ne nous permet pas d’exprimer certaines choses. Même la créativité artistique s’en ressent. On se censure beaucoup au Sénégal. Il y a des choses à ne pas dire, à ne pas faire. Ce n’est plus de la créativité… Que les gens s’ouvrent plus à eux-mêmes, qu’ils essayent de vivre pour eux-mêmes.
Propos recueillis par Leez & A. Njaay