Après 16 ans de compagnonnage, Niagass et Fou Malade se sont retrouvés pour le projet commun « Ousseynou Ak Assane ». Un album qui, après trois bonnes semaines d’écoute, nous a donné envie d’en savoir plus, notamment sur la conception et les différents messages que portent les différents titres. Naturellement, Senemusic est allé à la rencontre de ces deux « frères » qui partagent une complicité innée, aussi bien dans la vie de tous les jours que dans la musique. Cela a donné comme résultat un entretien riche et long, qu’on a divisé en deux parties. Après la première disponible ici, place à la deuxième !
On a remarqué aussi que vous observez toujours de longues pauses avant de dévoiler un nouveau projet. Pourquoi cette stratégie ?
Fou Malade : Ce n’est même pas une stratégie particulière, c’est juste une affaire de sensations. Il faut créer quand tu sens le besoin de créer. Nous ne sommes pas dans une maison de disque qui nous exige une régularité de sortir quelque chose tous les ans. C’est à notre rythme. On peut rester même 10 ans sans sortir quelque chose. Mais c’est après que l’on a compris que les gens ont besoin de nous et qu’on est une pièce importante du puzzle. Nous deux avons le sens de pouvoir donner une orientation. Car si l’on observe de près, beaucoup de « grands » du Hip Hop ne sortaient plus d’album, ils avaient laissé le game aux « gosses » parce que tout simplement ils ne savent plus s’ils doivent faire du trap ou s’ils doivent rester là où ils étaient. Mais pour nous, nous avons commencé le trap depuis les temps de « Thioukh », cela remonte à longtemps, depuis « Diakhassé Mélanssé ». C’est depuis 2003, pareil avec « Mangui Ni Di Réé », c’était du trap. Même quand on sortait « Guente Bi », c’était en avance sur le Hip Hop Sénégalais de 5 ans : nous faisons la musique du futur !
Sur des titres comme « Tefes » ou « Mbey », Fou Malade et Niagass se sont mis à la tendance, mais tout en gardant l’engagement et les valeurs qui leur sont connues. Comment vous avez réussi cette jonction ?
Niagass : Parce qu’on défend toujours les mêmes idées mais on a su aussi écouter et nous rapprocher des jeunes notamment Iss 814 que je remercie au passage et qui a beaucoup contribué sur l’orientation de l’album. Eux (ndrl : les jeunes) sont dedans, ils sont au diapason par rapport à ce qui se fait. Il faut aussi avoir une ouverture, et se dire que ce n’est pas que moi qui fait de la bonne musique. Et la musique en général n’est qu’un support, le plus important ce sont les paroles, c’est pourquoi il toujours garder en tête les idées que l’on défend. L’exemple de Busta Rhymes qui rappe depuis longtemps mais il est toujours là. La musique peut évoluer mais les idées restent.
Fou Malade : Et c’est ça qui fait l’originalité car si on venait faire du trap (il imite la nouvelle génération) cela n’aurait plus de sens. Si un ou deux le font ça va mais quand tout le monde le fait ça devient saturé, tu as l’impression de souvent entendre la même chanson. Mais on essaie d’apporter un plus à ce qui se fait. On ajoute du tiatiass au tiass (rires).
N’est-ce pas une modestie de votre part de dire que malgré votre riche carrière, vous avez aussi appris de la nouvelle génération.
Niagass : Dans la vie il faut apprendre de tout le monde, même un vieux de 99 ans continue à apprendre, on ne peut pas tout connaitre. Il n’existe personne qui puisse dire qu’il a tout appris et qu’il connait tout; en tout cas si vous en voyez un vous l’appelez pour qu’il m’apprenne (rires).
Fou Malade : Les wolofs disent « xam xam pousso bou reer la, mak meun nako for xalé men nako fore ce qui veut dire que la connaissance ne dépend pas de l’âge, et on ne doit pas avoir de mal à demander à un plus jeune. L’apprentissage ne rime pas toujours avec ouvrir un cahier pour étudier mais il faut parfois observer pour savoir d’où l’on vient, où on est et où est-ce que l’on veut aller.
Il est très normal que nous ressentons que Iss 814 veuille nous pousser à des influences mais nous avons tenu à garder une certaine distance pour ne pas nous pervertir.
Fou Malade
D’ailleurs sur les titres que vous évoquiez précédemment on y ressent tout de suite la patte de Iss 814. Est-ce que la collaboration avec lui a été facile ?
Fou Malade : Cela a été une combinaison d’inspirations; parce qu’un album se construit à travers des inspirations. Nous avons collaboré avec lui en tant que compositeur, en tant que Beatmaker, mais aussi en tant que directeur Artistique. On a également travaillé avec Nautylus Prod qui a fait le titre « Dellusi », qui a retravaillé « Monsieur Ndiaye » où c’est une co-production avec Iss. ils ont fait « Nobula », et ils ont également fait « Baay Guilaay ». Et le titre « Dialoré », en featuring avec Fakhman, est fait par Bamba Al Mansour qui est un compositeur Hollandais. Il est très normal que nous ressentons que Iss 814 veuille nous pousser à des influences mais nous avons tenu à garder une certaine distance pour ne pas nous pervertir. On a voulu travailler avec lui pour moderniser notre musique, pour suivre la tendance…
Niagass : Pour actualiser et faire une mise à jour de notre musique.
Iss 814 soutient que c’est vous, à travers Bat’haillons Blin-D, qui l’avez inspiré. Comment vous sentez-vous aujourd’hui quand vous voyez son impact sur cette culture urbaine, et même au-delà parce qu’il s’illustre aussi dans des musiques de films et de publicité ?
Fou Malade : Oui c’est comme Niagass l’a dit : Niagass a l’habitude de dire que quand il venait d’arriver à Guédiawaye il se souvient que j’avais offert à Ismaila (ndrl Iss 814) un ensemble pantalon et boubou et je le portais sur mon dos ; et aujourd’hui on est en 2018 c’est Ismaila qui compose notre album. C’est parce que Ismaila a tout le temps été bercé par nos répétitions à Youkoungkoung mais il a aussi du mérite parce qu’il travaille beaucoup. Je le vois beaucoup beaucoup beaucoup travailler.
Malal, récemment, lors d’une conférence, vous avez eu des opinions diverses face à la nouvelle génération. Que pensez-vous d’eux ?
Fou Malade : Parfois il est important de rappeler à la nouvelle génération qu’ils ont une responsabilité et que quelque soit le style de musique qu’on fait, quelle que soit la génération à laquelle on appartient, il est important de penser à l’utilité sociale de la musique. Parfois c’est lié à leur manque de compréhension de la culture Hip Hop. Parce que quand des jeunes qui viennent par exemple de Guinaw Rail ou de Thiaroye que je retrouve dans une vidéo avec une piscine et des belles voitures etc… alors que cela n’est pas leur réalité, il est important quand même d’en parler sans rancune sans haine. C’est ce qui aide la nouvelle génération.
Est-ce que « Docteur Fou Malade » devait à la base figurer sur cet album ? Parce qu’il est quand même exclusivement interprété par Fou Malade, avec Myrma comme invité.
Fou Malade : Myrma on l’a trouvé en France, on l’a invité pour qu’elle fasse le refrain mais oui cela devait faire partie de l’album.
Sur la chanson « Dellusi », vous parlez du retour des émigrés. Vous sous-entendez un retour avec leurs propres moyens ?
Fou Malade : C’est un appel au patriotisme. Nous avons fait cette observation quand nous étions en Europe et que nous avons vu les conditions dans lesquelles certains d’entre eux vivaient. Nous nous sommes dit qu’il faut revenir au pays.
Niagass : Quand tu travailles à l’étranger, que tu as tes papiers et que tu es en règle tu peux rester. Mais quant à ceux qui sont dans le pays d’autrui à ne rien faire tu peux rentrer, c’est mieux. Revenir dans ton pays pour servir. Il existe deux principales raisons pour lesquelles les gens émigrent : c’est soit pour aller chercher de l’argent soit c’est pour aller chercher de la connaissance. Mais quand tu as la connaissance sans avoir de travail c’est mieux que tu rentres pour utiliser cette connaissance là dans ton pays pour avoir de l’argent. Cela ne veut pas dire que tout monde doit rentrer car tant que nous vivons il y aura des mouvements mais ceux qui ne font rien peuvent rentrer car la liberté que tu as chez toi tu ne peux pas l’avoir ailleurs.
Pourquoi « Monsieur Ndiaye » comme prochaine vidéo ?
Fou Malade : « Monsieur Ndiaye » c’est d’abord un hommage aux acteurs de l’éducation en général mais en même temps c’est un souvenir de l’école primaire. Chacun peut se rappeler de son « Monsieur Ndiaye ». Et en même temps comme Niagass l’a dit au début de l’interview, c’est pour poser les problèmes de l’école mais dans le rire, dans l’humour. On voit que l’éducation devient n’importe quoi. Niagass est allé même plus loin en disant qu’il faut des assises de l’éducation. Effectivement parce qu’il faut discuter, est ce qu’on ne doit pas commencer à enseigner le Wolof à l’école primaire ? Il faut tout revoir. Notre rôle en tant qu’artiste c’est d’interpeller la société et les autorités.
Est-ce que votre collaboration sera pérenne, ou le duo Ousseynou ak Assane se limitera juste pour cet album ?
Fou Malade : Nous ne sommes pas des collaborateurs…
Niagass : … Nous sommes des frères de sang et de son. Personne ne sait ce qui va se passer demain. Nous pouvons dire quelque chose et que cela ne soit pas ça dans le futur. Pour le moment y’a « Ousseynou ak Assane », c’est un album de 12 titres et on le suivra, on fera la promo, on fera des tournés et on veut faire des clips sur toutes les chansons de l’album. On fait un appel à tout le monde pour l’acheter car c’est un album de qualité. La condition des artistes dépend des consommateurs, il faut qu’ils achètent les disques. L’album est disponible sur beaucoup de plateformes comme Deezer, Spotify, iTunes, MusikBi ; Le CD physique est aussi disponible à Younkoungkoung, à l’Institut Français de Dakar. C’est là où nous en sommes. Seul Dieu sait ce qui arrivera mais l’album on va le promouvoir et profiter au max de « Ousseynou ak Assane ».
Fou Malade se réclame apolitique, alors qu’on l’entend souvent autour des débats politiques, comment pouvez-vous expliquer cela ?
Fou Malade : Etre apolitique c’est ne pas appartenir à un parti politique, c’est ne se réclamer d’aucune idéologie politique et mes points de vue politiques aujourd’hui, je suis entrain de le dire dans l’album.
Niagass, comment vivez-vous le fait de rester loin de la capitale ? Est ce que cela n’est pas un handicap pour votre carrière ?
Niagass : Moi je suis à Dakar maintenant pour les besoins de l’album, depuis l’enregistrement, depuis les écritures.
Et votre maison à Saint-Louis ?
Niagass : c’est là-bas et ça sera toujours là-bas mais moi je suis là pour l’album, je bouge pour la musique, je vis pour la musique, je n’ai pas besoin de maison pour être enfermé dedans. Je sors je fais comme si je n’ai pas de maison. Présentement ma maison c’est « Ousseynou ak Assane », j’habite dans « Ousseynou ak Assane ».
Autre question qui m’a toujours trottiné la tête, d’où vous est venue l’inspiration du nom Niagass ? Ça signifie quoi réellement ?
Niagass : Niagass c’est le rugueux, c’est le contraire de lisse. Étymologiquement cela vient de la Ruga qui est un mot latino grec et ça signifie la rue. On peut aller plus loin car Niagass peut signifier « nia gass » (mot wolof qui veut dire ceux qui ont creusé) mais je ne parle pas de cela, même si c’est vrai que je fais partie de ceux qui ont creusé le Hip Hop sénégalais. Et la personne Niagass en réalité n’est pas rugueuse mais ce sont juste ses paroles qui sont parfois rugueuses.
Niagass pourquoi vous portez plus vos rastas ?
Niagass : Non ce n’est rien de particulier. Je suis revenu de voyage j’ai eu chaud et je les ai rasé ! Il faut changer de style, ce n’est rien, juste un feeling.
Tout à l’heure vous avez évoqué votre style, cette facilité d’appréhender la musique. Cela m’a toujours étonné car sur vos chansons vous avez les paroles faciles, les refrains faciles, parfois on a l’impression même que vous chantez pour les enfants…
Fou Malade : Nous chantons pour tout le monde, tu l’as dit. Nous sommes les artistes qui avons beaucoup plus réussi leur socialisation, parce que le rap il faut le socialiser. Partout où l’on passe on entend des Fou Malade ! Niagass ! Et les gens nous approchent avec le sourie. Et puis ce n’est pas facile, c’est simple. La simplicité est différente de la facilité. Beaucoup de gens pensent qu’ils sont profonds en écrivant des choses qui sont très difficiles à décortiquer. Nous on cherche l’accessibilité et ça on le met dans les fondements du Hip Hop. Dans un CD de Hip Hop il estampé « Explicit Lyrics » qui veut dire Paroles Explicites.
D’ailleurs Steve Jobs disait : « Faire simple est probablement l’objectif le plus sophistiqué »
Fou Malade : Yes ! On est dans ça.
C’est la fin de l’interview et Senemusic vous remercie de votre collaboration.
Fou Malade : Oui big dédicace à Laye (ndrl : Directeur Général de Senemusic) : c’est mon ami, c’est mon frère, il est parfait, il est magnifique. Laye je te salue !!
Niagass : Oui on vous salue tous, on salue Laye, on salue tout le monde ! L’album Ousseynou ak Assane est là : L’album physique est à 5000 Francs CFA et sur les plateformes de téléchargement cela coute 3000 Francs CFA. Donc on fait un appel à tout le monde pour l’acheter et écouter le message.
Ecoutez l’interview :
Propos recueillis par Louis Issakha Diop