Fou Malade & Niagass / Ousseynou Ak Assane
![](https://senemusic.sn/wp-content/uploads/2018/03/Ousseynou-ak-Assane.jpg)
Fou Malade et Niagass, c’est une « bromance » bien connue dans le Hip-Hop sénégalais et qui a débuté en 1998, année de leur rencontre à Dakar. Leur ressemblance physique ferait même penser à de vrais frères. Et les deux acolytes cultivent bien cette analogie avec leur nouvel album intitulé « Ousseynou Ak Assane », duo de prénoms généralement attribué à des jumeaux dans la culture sénégalaise. Dans cet opus d’une douzaine de titres dont la grande majorité a été produite par le beatmaker et rappeur Iss 814, humour, politique, injustices sociales, immigration se mêlent. Des thèmes qui sont chers aux deux rappeurs de la banlieue dakaroise.
L’album débute avec « Yalla » où les auteurs, entre autres remerciements, implorent le bon Dieu de les aider à subvenir à leurs besoins quotidiens. J’y vois presque un message voilé à l’attention de leur public. Doit-on rappeler encore la difficulté des rappeurs sénégalais à vivre correctement du Hip-Hop ?
« Baalè », premier single de l’album, illustre parfaitement la complémentarité musicale de Malal et Niagass. Leurs flows, leurs timbres vocaux, les répliques de chacun, la synchronisation est parfaite. Il est là notre duo « Jadakiss – Styles P ». Le titre évoque le pardon, valeur essentielle de la vie de tous les jours. Surtout quand on est puissant. Je ne doute pas du fait que les fans leur « pardonneront » ce sevrage de six longues années.
Redécouvrez le clip « Baalè » :
« Nuyoo Mber » est un egotrip sur une instru et des lyrics qui rappellent les rituelles de la lutte traditionnelle sénégalaise. Ce titre sonne comme un rappel. Malgré les années sans album sur le marché, Fou Malade et Niagass demeurent encore des champions dans l’arène du Hip-Hop Galsen. Le petit bémol est qu’il est très court. A peine deux minutes et trente secondes.
« Naba mind » est sans aucun doute mon coup de cœur. Le beat, l’ambiance, le thème, tout est presque parfait. Le titre fait penser à l’expression anglaise « Never mind » et « Naba » veut dire « mauvais » en Wolof. Fou Malade et Niagass en ont visiblement marre du je-m’en-foutisme et du manque de civisme des sénégalais. Il me rappelle dans un autre style « Temps mort » de Dakar All Stars. « Tefes » aussi, vient du cœur, mais cette fois c’est un cri. Contre le gouvernement sénégalais qui vend les terres aux investisseurs étrangers, quitte à exproprier ses propres citoyens. La privatisation des plages, inaccessibles aux classes populaires.
« Dellusi », aux sonorités reggae, dénonce l’impérialisme occidental en Afrique et exhorte les jeunes africains, notamment de la Diaspora, à revenir sur la terre mère et prendre leur destinée en main. Dans « Mbey », culture de la terre, préférence nationale et consommation locale sont les messages destinés aux sénégalais. Quant à « Jaloore », produit par Bamba al Mansour et en featuring avec Fakhman, il serait un très bon refrain d’hymne panafricaniste. A noter la très belle prestation du rappeur de Bat’Haillons Blin-D.
« Monsieur Ndiaye », dans un style très ironique, nous replonge dans nos souvenirs de l’école primaire. Qui n’a jamais connu ce maître d’école, tyran qui ne porte pas son nom ? On avait plus peur de sa cravache que de ne pas connaitre notre leçon de la veille. C’est peut-être cela d’ailleurs que Fou Malade et Niagass dénoncent en substance. D’ailleurs, il sera le prochain clip de l’album avec sûrement un visuel très illustratif, ont annoncé les deux artistes lors d’une interview exclusive qu’ils nous ont accordé. Un autre mal de nos sociétés dont on ne parle pas assez est la pédophilie, évoquée dans « Baay Gilaaye » sur le beat le plus old school de l’album signé Nautylus.
Ecoutez « Monsieur Ndiaye » :
« Docteur Fou Malade » ! Vous êtes perdu ? Alors tentative d’explication. Malal le marginal, exclu et raillé par ses proches, parce que pauvre et sans emploi, errant tel un fou, donc malade… diagnostique les maux de notre société. Le concept est pour le moins cocasse. Sur un air assez tristounet, le rappeur de Guédiawaye explique comment le cercle familial et la société fabriquent des jeunes dépressifs. Myrma, malgré sa douce voix, n’a pas pu donner de relief à ce titre. Le refrain de la chanteuse est, disons-le, trop monotone.
Si dans un album de Rap vous vous attendez, comme souvent, disons-le, à tomber sur un ou deux titres machistes où on ne dit pas toujours du bien de la femme, ce n’est pas le cas de « Ousseynou Ak Assane ». Dans « Nobula », c’est le contraire même. Sans aucun doute l’un des morceaux les plus aboutis de l’album. Un beat très dansant produit par Nautylus que les deux rappeurs ont su parfaitement exploiter.
Après une demi-douzaine d’années d’absence sur la scène Hip-Hop, Fou Malade et Niagass nous ont gratifié d’un bon album, très agréable à l’écoute. L’attente en valait la peine. Et pourtant le défi n’était pas simple. Les auteurs ne se sont pas éloignés des thèmes qui ont fait leur succès. Ils font passer leurs messages toujours avec cette teinte d’humour tout en s’adaptant aux nouvelles sonorités du Hip Hop d’aujourd’hui. L’omniprésence de Iss 814 à la production n’y est certainement pas étranger. L’auteur de « 13 Bala Mbedocratie » a encore une fois fait étalage de sa large palette.
Linzo Ndiaye