Vous vous êtes sans doute demandé où est passé ce fameux Gaston. Dans quoi s’active-t-il, et surtout qu’est-ce qu’il mijote en silence ? Et bien notre équipe est allée fouiner dans le continent européen pour essayer d’en savoir plus sur la carrière de ce dernier, et éventuellement parler un peu de la situation de son pays natal. C’est avec un grand sourire que Gaston nous reçoit chez lui, à Lyon, dans un appartement lumineux et accueillant. Rapide visite : dans une chambre un studio improvisé, « c’est ici que je chante, que j’enregistre ». Son exil depuis un an et demi ne lui a pas fait oublier la fameuse Téranga sénégalaise. C’est après avoir bu et mangé que l’entretien commence…
Bonjour Gaston. Il y a une semaine vous vous produisiez à Villefranche à l’occasion du Festival Ça Part en Live. Comment trouvez-vous le public français ? Avez-vous senti un réel impact de votre prestation à leur égard ?
C’était une très bonne soirée. Je pense que le public a aimé ma musique car mon Hip Hop n’est pas hardcore. J’ai même pu leur faire chanter mes refrains en wolof car ils sont simples. Il y avait une très bonne ambiance. Même s’ils ne comprennent pas les paroles, la musique est universelle. Que ce soit en Wolof ou en chinois la vibe est là. D’ailleurs la plupart des rappeurs sénégalais actuels ont commencé à apprécier la musique via le Hip Hop américain alors qu’ils ne comprenaient pas l’anglais. Peu importe la langue utilisée, l’important c’est que les vibrations soient là.
Que pensez-vous du rap français ?
J’ai connu ce style musical pendant mon adolescence grâce au groupe marseillais IAM et notamment leur album « Ombre et Lumière » qui est le premier album que j’ai vraiment apprécié. Aujourd’hui j’écoute encore beaucoup de rap français mais je trouve qu’il a beaucoup changé. Je ne me retrouve pas dans la nouvelle vague. J’ai l’impression qu’avant le rap avait un message à faire passer : From Zero To Hero. Maintenant c’est plutôt une mode de se proclamer du ghetto, la musique est trop commerciale et les textes ne sont pas recherchés. Booba par exemple avait une bonne plume du temps de « Le Crime Paie »…
Et si vous devriez faire une collaboration avec un rappeur français ? Il n’y aurait pas d’artiste qui vous intéresserait ?
Si bien sûr ! Il existe encore de très bon rappeurs en France : Youssoupha, Kery James ou encore Akhenaton. Ils font du rap conscient et c’est ce qui me plait. « On vient de loin » comme le chantait Corneille et il faut se battre pour avancer. C’est ce message que les jeunes ont besoin d’entendre.Je me souviens aussi de Hill G du groupe X Men qui était pour moi le meilleur du rap français en écriture. J’aimerais vraiment pouvoir collaborer avec lui mais on ne l’entend plus, je ne sais pas ce qu’il devient.
Vous avez récemment dévoilé la vidéo de « Bess Bi Gaddouna Bessam ». Parlez-nous un peu du thème de cette chanson ?
Cette chanson c’est une façon de dire que l’homme est devenu esclave des biens matériels, de l’argent. Tout le monde veut réussir coûte que coûte au point d’en oublier le plus important : Qui sommes-nous, d’où venons-nous et pourquoi sommes-nous là ? Il y a une perte des valeurs essentielles. Avant, les jeunes vivaient chez leurs parents en attendant le mariage. Maintenant un bon nombre d’entre eux prennent leur indépendance très vite, habitent entre amis et, sans famille pour les recadrer, prennent de mauvais chemins. Autre exemple qui m’a choqué à mon arrivée en France : les maisons de retraites. Je ne comprends pas comment les enfants peuvent devenir aussi ingrats et se débarrasser de leurs parents âgés après tous les sacrifices que ceux-ci ont faits pour les élever. C’est toutes ces dérives que j’ai voulu dénoncer.
Regardez le clip de « Bess Bi Gaddouna Bessam » :
« Bess Bi Gaddouna Bessam » est inclu dans votre dernier album « Touti Wakh Job Lou Beuri ». Continuez-vous toujours à faire la promo de ce dernier ?
J’ai sillonné l’Europe avec cet album en faisant de nombreux concerts en Italie, Espagne, Belgique, France ou encore en Suède. Ces voyages ont permis de consolider les liens avec mes fans sénégalais de la diaspora installés un peu partout en Europe. Nous étions très proches grâce à internet et Facebook et j’étais très heureux d’enfin pouvoir leur offrir une prestation live. « Bess Bi Gaddouna Bessam » est le quatrième clip issu de cet album (après « Senegal Bi Tchi Souf », « Beutou Xalima Baa Ngui Dioy » et « Amouma Ligééy »), donc dans un sens on peut dire que je fais toujours la promotion de cet album.
Donc nous pouvons en conclure que Gaston n’est pas encore prêt pour sortir un nouvel album !
Pourtant si ! En un an et demi j’ai fait beaucoup de rencontres et notamment avec un label espagnol : Beat Salad. Ensemble nous travaillons sur une mixtape : « Moudjadid ». On a actuellement environ 30 titres donc il y a encore une hésitation sur ce qui va sortir : Deux mixtapes ? Un nouvel album et une mixtape ? Un best of ?
Affaire à suivre donc ?
Affaire à suivre mais je peux déjà vous annoncer la sortie d’un nouveau clip pour bientôt : celui de mon single « Violent », réalisé par Beat Salad. La vidéo est actuellement en montage et ne devrait pas tarder à être prête.
Quel bilan tirez-vous de votre dernier album « Touti Wakh Job Lou Beuri » ?
C’est un album que mon public a su apprécier puisque j’ai remporté le Yaakaar, équivalent du prix du meilleur album solo en 2011. Beaucoup de mes titres sont devenus des tubes. J’ai pu faire quatre clips et beaucoup de concerts à travers le monde. C’est un très bon bilan et de très bons souvenirs. Jusqu’à maintenant même on me réclame de nouvelles vidéos pour certains titres de l’album comme « Fly » ou encore « Taxawala Warouma ».
Vous comptez répondre à ces demandes ?
Quand j’ai écrit la chanson « Fly » j’avais déjà une idée bien précise du clip que je voulais pour cette chanson. J’avais envie de la tourner aux USA. L’idée était là mais je n’ai pas encore eu le temps de la réaliser. Cet hiver j’irai voir mon frère à Washington, ce sera peut-être l’occasion de prendre quelques images.
On a assisté à une instabilité politique violente au Sénégal pendant la période pré-électorale. Comment vous l’avez vécu ?
Comme tous les sénégalais je pense, avec un peu de panique. J’ai eu peur que le pays bascule dans une guerre civile mais la non-violence l’a remporté. Le peuple ne voulait plus de Wade, il fallait qu’il l’admette.
On a vu certains de vos compatriotes descendre sur le terrain pour faire face à l’ancien régime. Approuvez-vous cette méthode ?
Non je ne suis pas dans ça. J’ai d’ailleurs sorti le morceau « Thi Tak La Djeum » quand c’est devenu violent pour calmer la population. Abdoulaye Wade ne s’est pas mis au pouvoir tout seul, si le peuple ne veut plus de lui au pouvoir la seule solution est de faire le chemin inverse : Prendre sa carte d’électeur et voter pour faire changer les choses. A l’instar de Serigne Touba je le dis, la violence ne fait pas avancer les choses. Il y a eu des propos insultants, des pneus brulés et des manifestations mais ce sont bien les cartes électorales et l’acte citoyen d’aller voter qui ont changé les choses.
Que pensez-vous du mouvement Y’en A Marre en tant que citoyen sénégalais ?
Je ne peux pas en parler car je n’en fais pas parti. Je suis artiste avant tout. Quand je veux dénoncer quelque chose, je prends mon stylo, j’écris et je rentre en studio. Je n’ai pas besoin d’adhérer à un mouvement pour prouver mon engagement.
Vous n’êtes plus présent au Sénégal depuis quelques temps. Pourquoi ?
J’ai quitté le Sénégal au moment de l’altercation avec Fou Malade mais les deux événements n’avaient pas de lien. J’avais prévu de voyager pour des concerts en Italie et en Belgique ainsi que pour des raisons familiales. Finalement on peut dire que les dates sont bien tombées puisque cela m’a permis de prendre du recul par rapport à ces événements.
Votre accrochage avec Fou Malade a secoué la presse pendant longtemps. Peut-on savoir réellement quelle était la source de votre conflit ? Êtes-vous satisfait de la manière dont s’est terminée l’histoire ?
Un jour Fou Malade m’a appelé pour me proposer d’intégrer le mouvement Y’en A Marre ce que je n’ai pas voulu faire. C’est de là qu’est parti le conflit. Avant nous étions amis. A partir de ce jour nous n’avons plus eu de contact jusqu’à l’agression. Je me souviens très bien de ce jour-là. Quand ils sont venus en pleine nuit je n’ai prononcé qu’une seule phrase « La ilaha ilala » qui quand on le calcule donne le chiffre 12. Suite à cette agression je suis allé à l’hôpital où j’ai eu un certificat médical de 12 jours. Le procès a eu lieu 12 jours après mon agression. J’y vois un signe. Il n’y a rien de plus grand que Dieu. Si tu te donnes à lui il te protégera dans tout. Quant à la manière dont s’est terminée l’histoire, Fou malade a présenté des excuses publiques, j’ai retiré ma plainte. Je lui ai pardonné car j’ai su voir au-delà de ce geste. C’était une étape de ma vie, un passage, une épreuve que je devais traverser et je l’ai accepté.
Vous suivez depuis la France l’évolution du mouvement Hip Hop sénégalais. Comment le voyez-vous ?
Oui je suis de près le Hip Hop sénégalais. La nouvelle vague a évolué techniquement c’est une certitude mais il a encore beaucoup de travail à faire du côté des paroles. Personnellement je pense que l’écriture doit représenter 75% du travail. Le plus important est le message à faire passer. Dans ce sens j’aime particulièrement PPS The Writah, Azou Bu Atomik, Balvada et Takke Rikain qui ont une très bonne plume.
Qu’en est-il de votre studio « Def Dara ». Existe-t-il toujours ?
Non il n’existe plus, je l’ai fermé. J’enregistre maintenant en Espagne et en France, chez moi.
Pourra-t-on vous revoir bientôt sur les scènes sénégalaises ?
Bien sûr et avec grand plaisir ! Je vais revenir faire une très grande tournée à Dakar, en Casamance, en Mauritanie etc… Mon public me manque même si je suis proche d’eux via internet. Je suis parti en leur laissant un album de 21 titres et depuis j’ai sorti 3 singles et des vidéos. Mon morceau « La Foi » était un message et mon point de vue par rapport aux inondations. Je n’oublie pas le Sénégal.
Votre mot de la fin ?
C’est un message au peuple sénégalais. Nous avons tout fait pour qu’Abdoulaye Wade soit président, nous l’avons même fait venir de France pour quelques années plus tard, être prêt à mettre le pays à feu et à sang pour qu’il quitte le pouvoir au profit de Macky Sall. Aujourd’hui l’histoire se répète au bout d’à peine 2 ans. A la moindre déconvenue on monte le peuple contre le pouvoir. Il faut faire attention à la manipulation des médias. Le président n’est qu’un représentant. C’est le peuple qui changera le Sénégal. Chacun a un rôle à jouer. J’invite chaque sénégalais à s’investir, à faire quelque chose de son temps, de son talent, quelque chose de constructif. Il y a trop de blabla au Sénégal et trop peu d’actions… Comme je le dis dans mon morceau « Touti Wakh Job Lou Beuri » !
Propos recueillis par Leez